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Peinture et poésie

Poèmes : Alexis Louet

Un mètre d’entrailles pour mesurer nos chances. René Char

Regarde et monte
Peu à peu pas à pas à tâtons
Apparaissent, au-delà des cloisons
Foisonnants et inquiets

Entre les surfaces écorchées :
nos éponges de vie
leurs poumons qui veulent s’ouvrir
Au fond de ta goutte de sang :
mes tendresses engourdies
ce désordre pur et rond

Regarde rouge la joie qui s’étend
de ces yeux-là
(les seuls pour ta vie)
qui te murmurent : monte !


Si l’on nous avait dit
« laisse voler puis tomber
les colères enrobées »

s’il avait été permis
d’écrire je pointille
je tartine c’est l’essai

si la nuit n’avait pas dû taire
ses feux de sueur
son dedans de nous

si l’on nous avait laissé
grimper l’espoir des noirs
gratter nos blanches névroses

si la montre n’hurlait pas
de jeter les débris et trier
couper le dessous, toujours ignorer

s’il avait été généreusement proposé
d’aller là où l’on se pavane de cœur
chercher à jamais les baluchons amoureux

si l’on avait pu
Exploser de tendresse
Érupter de paix
voici ensemble

ce qui aurait été peint.


Tu trouveras toujours dans les chairs ce point blanc de l’amour, intouché et rond, vers lequel affluent
tous les grains, tous les pores, toutes les peaux hérissées. Tu peux, nostalgique, plonger tes pieds dans
les marécages de l’autour, tes yeux dans le bois de l’essai, tes mains dans la pierre du désir ; ce point
blanc de l’amour restera le cap, la pépite vertigineuse. La dernière nuit du monde s’efforce d’oublier
les chemins que tracent tes corps mais nous autres pouvons percevoir les sillons et nous fier aux lignes
blanches parmi la rocaille d’envie.

Toutes ces lignes :

L’infime point blanc se meut pour et refuserait le contre s’il pouvait l’être – La fureur de l’âme est
blanche nocturne, telle de l’encre sur du papier blanc, telle une autre tâche sur du grain noir – Âpre
s’écoule le temps mais blanc demeure le pieu de vie – La blancheur étincelle si et seulement si les
couleurs déteignent, si ses lignes deviennent grisâtres, gorgées, si l’on y puise, encore, du possible – Je
ne peux m’empêcher de gratter sans cesse mais sous le blanc surgit le blanc – L’autre soir j’ai pleuré et
bu du blanc – Je suis un lac blanc, peignez

La force du blanc est d’accepter l’infini, la boucle, la lenteur, le tournis, la répétition, le chantier, la
ronde, les pertes, le vain, le double, l’écho.


Vois-tu la faille de glace en moi ?
Tous mes nectars se précipitent vers des champs brûlés
Où l’aridité solitaire et la couleur passée les attendent
M’as-tu fracturé d’éternité ?

Je croque, pour m’en débarrasser, toutes mes tâches jaunies de toi
Dans la faille, vois-tu tout le noyé ?
Tout le sombre qui s’y est fourré ?
J’hurle aux reliefs vitaux de se taire, s’omettre, s’amoindrir

Et toi, je t’ordonne de regarder la faille.

La ruche de mes désirs n’est plus récoltée
Dans la faille, tu as enfermé toutes nos possibilités
Dois-je arrêter de frapper la couche de glace ?
Est-ce donc cela que ton silence ordonne ?

Subsistent enfouis les cris blancs et les meurtres noirs
De notre paire mutuelle d’yeux, de notre jus simple de soleil
De nos rires arrogants aussi, de nos filets d’or sur la ville
De notre amour, je hais t’écrire.


Je vois tes racines en cage :
L’origine de ton corps essaie de se déployer.
Tes feux follets frémissent et vacillent.
Le magma de ta joie voudrait s’étendre

Dis-leur pour les coups et les bordures.
Où avais-tu caché le brasier ?
Je sais que tu retrouves les pépites.
Qu’attends-tu d’enfanter ?

Je vois la suie de parcours :
Personne ne ramone les cheminées.
Les étincelles de pleurs coulent et dégoulinent.
A quoi bon les essuyer ?

Ose plonger ta main, ose brûler.
Plus tard l’avorté, plus tard le dévié.
Déshabille et sue, tanne-toi la vue !
Sans oublier : ne compte jamais.

Le littoral incandescent du bonheur
Est-ce là-bas que tes racines devraient aller ?


J’ai cherché dans la nuit

Des marques de nos présences retrouvées

Une lune qui trônerait, doute et fierté

Une constellation de bras tendus fantômes perdus

Un filet d’esquisses de certitude

Nos empreintes apaisées

Qui donc égara les cadres photo de nos    rêves ?

Qui donc retrouvera dans l’orage de nos      vies

Les lames rougies des vains débuts

Les formes de nos fonds d’espoir

Que l’on découpe sans cesse

Que l’on glisse sur la

Douce et requise nuit

Concentré de SurVie ?


Je suis une mangue qui me nourris de votre vie. Lorsque vous me mangez, tous vos oublis, vos
avortements et vos disparitions dégoulinent sur le coin de vos lèvres violacées par la peur. Je pense
que vous devriez tendre votre langue et lécher avec avidité vos oublis noirs et rouges autour de votre
bouche, écouter ensuite le son de la déglutition. Seulement ainsi connaîtrez-vous la satiété : collectez
vous-mêmes, à nouveau, vos disparitions.

Je tends des filets, je coule des proies : je suis une mangue auxiliaire. Je vous aide à appréhender la
faim de vie. La nécessité du souvenir (elle glisse au fond de l’azur et vous voit patauger) a planté le
manguier d’où je suis né.

Je suis une mangue qui fais évidence. Maintenant que vous m’appréhendez, vous comprenez que les
autres fruits n’atteindront ni les veines, ni les poumons, ni la plante des pieds ni les larmes. On m’a
donné ce rôle : infiltrer vos larmes. Je dois récolter ce qu’il s’y passe. Sur les routes en vous, si
certains signaux m’inquiètent, je les emporte avec moi jusqu’aux larmes où ils s’épanouissent, car
elles sont le lieu de toute tentative d’épanouissement.

Je suis une mangue qui se doit de donner la liberté. Votre besoin de réconfort cherche mon sucre,
j’abonde vers votre douleur. Cette rencontre de vous et moi est nécessaire (vous l’apercevrez le ventre
vide). La substance de mon jus coule et vous le dit : votre vie n’est qu’absorption. Alors comment
boire, ne rien cracher ?

Me trouver enfin dans vos veines permet de regarder tout l’essai : l’embrassé, l’abandonné, l’enlevé.
J’y regarde vos tentacules de confiance se débattre. Quel est ce corps aux couleurs criantes ? Qu’on le
nourrisse ! Que craignent vos bronches ? L’impureté de l’air, l’étouffement ? Comment le souffle de
vie ouvre-t-il les portes de votre corps ? Par quels moyens votre sexe refoule-t-il l’agonie ? Que fuit-il
quand il fait ce qu’ils appellent l’amour ? Pourquoi votre bouche s’obstine-t-elle à refuser mon
chemin ? Qu’a-t-elle connu ? Qui déposa ces tâches protectrices sur votre cœur ? Qu’on les gratte,
doucement !

Je descends lentement le cours de vos veines, je me trouve à contre-sens de tout l’essai qui remonte. Je
veux voir les marques des chocs sur vos tibias, la plante usée de vos pieds. Qu’écrasez-vous quand
vous dansez ? Vos larmes, encore ? Je veux rejoindre en vous les vibrations qui font entendre les
autres. Je sais qu’elles sont là, je sais qu’on dit aux corps de les enfouir.

Je suis une mangue qui regarde vos veines mais n’écrirai jamais les réponses. Cela ne pourra jamais
être mon rôle. Comprenez-vous : auxiliaire ? Je vous aime et vous aide, avalez-moi.